par Pierre Osadtchy, enseignant, 11/1/2015
En préambule, c’est
nécessaire, je dis tout de suite que je n’aurais ni fait ni publié les dessins
qui sont à l’origine du massacre de Charlie, mais que je me battrais pour que
d’autres puissent le faire s’ils le souhaitent, comme je me battrai pour que la
liberté d’expression, de façon générale, ne soit pas confisquée par personne.
Une allusion ? Oui : pour prendre la mesure de ce dernier problème,
demandez-vous, quand vous l’aurez terminé, s’il vous plaît de le faire, quelles
probabilités ces deux pages ont d’être publiées par un grand média dans le
courrier des lecteurs. Posez-vous la question, simplement.
Un silence m’agace. Dans le long rappel des
attentats qui ont précédé les évènements douloureux que nous venons de vivre,
il est singulier que personne n’évoque la prise d’otages de Beslan. Pour
mémoire, il s’agit d’un massacre qui a eu lieu pendant la fête des écoles en
Russie, en septembre 2004, qui a fait environ 350 victimes dont une majorité
d’enfants, et a été revendiqué par le tchétchène Chamil Bassaïev, qui a eu, après
cet exploit, les honneurs des télévisions anglaises et des USA* (imaginons que
les Russes aient reçu sur le plateau de leur télé Ben Laden). Cet attentat est intervenu 6 mois après celui de Madrid,
trois ans après celui des Twin Towers, mais, contrairement à ces deux
précédents, personne en France n’a cru nécessaire de proposer une minute de
silence en mémoire des gamins russes assassinés. C’est que, dira-t-on, les Russes
bombardaient la Tchétchénie, et d’en déduire que c’est dommage pour les gamins
mais que les Russes l’avaient bien cherché.
Je ne vais pas discuter ce point, je me bornerai à
dire que je ne soutiens nullement la politique de Poutine. Mais ce qui me
semble intéressant, c’est l’envers de ce raisonnement : qu’est-ce qui fait
chez nous le terreau des terroristes ? N’y a-t-il pas une guerre quelque
part qui aurait enragé les jeunes musulmans de nos cités ? Je ne prétends
rien excuser, je suis convaincu que nous avons tous le choix de basculer ou pas
dans la violence, mais je pense que dans certains cas ce choix est plus
difficile que dans d’autres, et qu’il est facile de comprendre pourquoi les assassins
de Charb et Bernard Marris s’appelaient Saïd et Cherif, et pas François-Xavier
ou Pierre-Camille.
Je pense d’abord à la ségrégation et à l’ostracisme dont
ils sont victimes. Je ne vais pas faire l’angélique : j’ai vécu à Pantin,
je sais combien les jeunes de banlieue peuvent être chiants, exaspérants,
intolérants, voire faire peur, voire faire de vraies saloperies. Mais cette
médaille a un revers que nous fabriquons et entretenons avec soin. Enseignant à
Nantes et en IUT, je vois les difficultés qu’ont nos étudiants maghrébins et
africains à trouver un stage, j’imagine ce que ça doit être dans le 93 ou le
91. Quel avenir propose-t-on à ces jeunes ; Qui nous autorise à les
stigmatiser ? Qu’ont fait nos hommes politiques pour eux, dont ils
puissent se vanter ?
Mais il y a aussi cette guerre en Irak et en Syrie, qui
suit le chaos de la guerre lancée par G.W Bush et Tony Blair, guerre lancée
sans mandat de l’ONU, sur la base de documents falsifiés par la CIA, au cours
de laquelle le pays fut pratiquement détruit. Aujourd’hui, ces deux dirigeants
coulent des jours paisibles dans leurs pays, où ils sont toujours honorés. Quel
homme politique français a-t-il demandé qu’ils soient traduits devant la Cour
pénale internationale ? Si vous trouvez que j’exagère, cette requête a
pourtant été formulée par l'archevêque noir sud-africain et prix Nobel de la paix Desmond
Tutu : selon lui, rien qu'en Irak, "6,5
personnes meurent quotidiennement dans des attaques-suicides et des explosions
de véhicule. Plus de 110 000 Irakiens sont morts dans ce conflit
depuis 2003, (En octobre 2006, la revue médicale The Lancet estimait le nombre de décès irakiens imputables à la
guerre à 655 000) des millions ont
été déplacés, et fin 2011, près de 4 500 soldats américains avaient été tués
et plus de 32 000 blessés. Rien que pour ces faits, dans un monde cohérent, les
responsables de ces souffrances et de ces pertes de vies humaines devraient suivre le même chemin que certains de leurs pairs africains
et asiatiques qui ont eu à répondre de leurs actes devant la Cour pénale internationale".
Comment
s’étonner, devant de tels chiffres, que ces pays voient surgir Daesh ?
Admettrait-on alors, en retournant l’argument qui nous fait mépriser la mémoire
des enfants de Beslan, que les autres pays se montrent indifférents au terrorisme qui nous
frappe ?
Cette
indifférence aux autres que nous manifestons si bien par nos silences ne peut
que toucher les jeunes musulmans des cités. Comment ne verraient-ils pas dans
les populations arabes bombardées par les Occidentaux des frères dans la
souffrance ? Et dans la différence avec laquelle sont traités des criminels
d’État selon qu’ils sont arabes (Kadhafi, Saddam Hussein) ou occidentaux (Tony
Blair, G.W.Bush) une manière de discrimination terriblement blessante. Elle
contribue à nous rendre odieux à des pays entiers, qui auront bientôt envers
nous le comportement qu’ont déjà les Sud-Américains envers les Yankees.
Si nous voulons éliminer le terrorisme, au
moins lui couper un peu les ailes, nous devons apprendre à être moins arrogants
envers des populations qui vivent avec nous, ou pas d’ailleurs, et exiger davantage
de justice, sur le plan national comme sur le plan international.
Il n’y a rien de tel que l’injustice pour
lever des bataillons de terroristes.
* Le 3 février 2005, la
chaîne britannique Channel 4 diffuse un entretien avec Bassaïev, que les
autorités russes tentent de faire interdire. Un nouvel entretien avec le
journaliste Andreï Babitski est diffusé sur la chaîne US ABC en juillet 2005.[Note
de Tlaxcala]
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