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05/02/2024

De New York à Gaza : actualité de Frantz Fanon
Une nouvelle biographie et des débats : Israël est-il un État colonial ?

La parution récente d’une nouvelle biographie de Frantz Fanon relance les débats sur la légitimité de la violence des opprimés et sur la nature de l’État d’Israël. Nous publions la traduction de quatre articles.

  •  Le monde a rattrapé Frantz Fanon, par Adam Shatz...p. 1
  •  Quand le médecin ordonnait la violence comme remède, par Jennifer Szalai…p. 6
  • Frantz Fanon aurait-il soutenu le massacre du 7 octobre ? Son biographe n’en est pas si sûr, par Etan Nechin…p.10
  • Qu’est-ce que le “colonialisme de peuplement” [settler colonialism] ?, par Jennifer Schuessler…p. 21

13/08/2023

ILANA M. BLUMBERG
Dégradation, abus et cruauté : ce que doit subir une femme juive qui divorce en Israël

Ilana M. Blumberg, Haaretz, 11/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Ilana Blumberg (1970) enseigne la littérature anglaise à l’université Bar-Ilan. Elle a étudié à la Midresha [Institut d’études religieuses pour femmes] Lindenbaum, Matan et Elul, et a enseigné à l’Institut Drisha. Elle est l’auteure, plus récemment, des mémoires “Ouvre ta main : Enseigner en tant que juive, enseigner en tant qu’Américaine”.

« Soyez aussi passive que possible » : lorsque mon mari et moi avons pris la douloureuse décision de divorcer, le comportement du rabbin du tribunal religieux de Jérusalem a profané ma foi. Pour les femmes, en particulier, la liberté de dissoudre un mariage est contrôlée par des fonctionnaires menaçants, manipulateurs et méprisants

Photos Ohad Zwigenberg et Andrey Popov/ Shutterstock, photoshoppées par Anastasia Shub

Il y a trois mois, j’ai divorcé devant le tribunal rabbinique de Jérusalem et j’ai pu constater par moi-même une dimension de la vie israélienne qui va à l’encontre du judaïsme religieux auquel je souscris. Le divorce est douloureux et privé, et je préférerais de loin ne pas rendre publique une affaire aussi intime. Mais à la lumière de l’attaque du gouvernement contre les droits des femmes, en particulier dans sa décision d’étendre les pouvoirs des tribunaux rabbiniques au calcul des pensions alimentaires, et de la tentative, inscrite dans le récent budget, de supprimer entièrement le mécanisme de surveillance externe par lequel les citoyens peuvent déposer des plaintes, je ne peux pas rester silencieuse, en particulier en tant que femme pratiquante. L’union de la religion et de l’État est une idée abstraite. Mais maintenant que j’ai vu à quoi elle ressemble dans la pratique, je suis convaincue que chaque Israélien doit savoir ce qu’il en est pour une femme dans ce pays d’accéder à un droit fondamental du statut personnel.

 

Mon mari et moi nous étions mariés en 2002, dans une vieille et majestueuse synagogue du Lower East Side de New York, avec un professeur et rabbin bien-aimé, un talmudiste d’origine européenne dont l’érudition était légendaire. Il nous a demandé de signer un contrat prénuptial, comme on le conseille régulièrement aux couples juifs des USA, afin d’éviter qu’une femme ne devienne une aguna (“femme enchaînée” en hébreu), c’est-à-dire une épouse à qui son mari refuse un guet, un acte religieux de divorce.

Avant notre mariage, nous avions également demandé un certificat de mariage civil, ce qui m’a semblé être un détail technique. Le mariage juif était clairement le “vrai truc”, le moment où j’ai commencé à porter une alliance et où j’ai senti que mon statut avait changé de manière monumentale.

 

Des années plus tard, après avoir déménagé en Israël, nous avons pris la douloureuse décision de divorcer. Je savais qu’en tant que juive pratiquante, quel que soit l’endroit où je vivais, je subirais ce changement par le biais d’un événement rituel juif nécessitant un guet. Mais en Israël, même si je l’avais voulu, je ne pouvais pas divorcer en dehors du Grand-Rabbinat.

 

Il existe quelque chose qui ressemble à un divorce civil. Nous sommes passés par là en mai, en arrivant au tribunal des affaires familiales avec un accord que nous avions conclu avec un médiateur. Dans une salle d’audience délabrée, avec un emblème en plastique représentant des rameaux d’olivier et une menorah suspendus de travers au banc, une juge a lu avec nous le document de dix pages pour s’assurer qu’il était fondamentalement juste et que nous comprenions tous les deux tout ce que nous avions signé.

 

Pourtant, ce document juridique ne constituait pas une preuve de divorce aux yeux de l’État. Nous étions toujours les bénéficiaires légaux l’un de l’autre en cas de décès et les plus proches parents l’un de l’autre en cas d’urgence. Tout organisme gouvernemental nous considérerait comme mariés. Si nous voulions déclarer nos impôts séparément ou si je voulais bénéficier de l’une des aides accordées aux chefs de famille monoparentale, nous devions divorcer religieusement, par l’intermédiaire du rabbinat. Cela vaut pour tous les Juifs, religieux ou laïques, et il en va de même pour les membres des communautés non juives d’ici.

 

J’ai donc payé et pris rendez-vous pour que nous présentions notre accord tamponné aux tribunaux rabbiniques. On nous a remis une feuille qui précisait que si nous ne nous habillions pas modestement, nous ne pourrions pas mener à bien la mission pour laquelle nous avions pris rendez-vous. Deux amis m’ont dit de m’attendre au pire. Une amie religieuse, avocate, m’a dit que le tribunal n’était pas tendre avec les femmes. Une amie divorcée, également religieuse, l’a décrit comme
“très dur”.

 

On nous avait dit d’amener chacun·e un membre de la famille ou un·e ami·e proche qui pourrait attester de notre identité. Une amie très chère a immédiatement accepté de m’accompagner et, ensemble, nous avons réfléchi à ce que pourrait être leur norme en matière de “tenue modeste” : une jupe, certes, mais des manches longues étaient-elles nécessaires ? Les pieds nus dans des sandales étaient-ils autorisés ? Mon amie, qui se couvre les cheveux depuis 25 ans, se demandait si sa casquette de base-ball habituelle ne poserait pas problème. Après tout, ils pourraient me refuser l’entrée.

 

Mon mari est arrivé avec son ami et un homme nous a dit d’attendre notre tour dans le couloir. Cela ressemblait à n’importe quel autre rendez-vous bureaucratique, sauf que plus tôt dans la matinée, j’avais passé 15 minutes à arracher mon anneau en or d’un doigt qui était moins mince qu’il ne l’était 20 ans plus tôt.

Ils nous ont fait entrer, mon mari et moi, dans une salle beaucoup plus grande et confortable que celle du tribunal des affaires familiales. Mais cette fois-ci, il n’y avait aucune femme d’autorité. Il n’y avait qu’un rabbin âgé à la barbe grisonnante, assis devant un grand bureau. Sans nous regarder dans les yeux et sans même se présenter, il a exigé de savoir si nous étions là pour divorcer. Il nous a demandé si nous avions des enfants et, lorsque mon mari a répondu que nous en avions trois, il nous a dit que nous faisions fausse route. « Vous devriez continuer », a-t-il dit avec véhémence. « Continuez ensemble. On ne comprend pas pourquoi vous voulez divorcer ». Il n’avait pas de dossier sur notre situation particulière, mais seulement sa propre certitude que le divorce était une erreur.

Un juge d’un tribunal rabbinique montre un exemple de “guet”, acte religieux juif de divorce, à Jérusalem.

 Il a demandé à mon mari son nom et où il travaillait. Puis il a aboyé, toujours sans le regarder dans les yeux : « Vous n’allez pas à la synagogue, mais si c’était le cas, comment vous appellerait-on là-bas ? ». Mon mari a répété son nom, insistant sur le fait qu’il portait le même nom à la synagogue que dans la rue. Il a ajouté qu’il allait régulièrement à la synagogue. « Vous ne devriez pas divorcer », a répété le rabbin.

 

Quel était le nom du rabbin ? Il n’en avait pas, car il était, simplement et suprêmement, l’État et la halakha (la loi religieuse juive). Ce n’est qu’après coup que j’ai fait des recherches en ligne sur sa signature. Le site web du rabbinat contenait un psak din, un jugement, dans lequel le rabbin avait déclaré au plaideur qui s’était opposé à la procédure que dans les plus de 1 000 affaires qu’il jugeait chaque année, aucun couple ne recevait un guet automatiquement et qu’il posait toujours exactement la même série de questions pour confirmer leur intention. En d’autres termes, ce n’était pas la première fois qu’il harcelait les personnes demandant le divorce, une pratique qu’il justifiait par une nécessité halakhique. Plus inquiétant encore, il a déclaré qu’il cherchait à éviter de causer à un couple les cicatrices psychologiques qu’il aurait pu subir s’il n’avait pas pleinement intériorisé l’importance de sa décision.

 

Pourtant, il ne parlait pas comme s’il était quelqu’un qui s’inquiétait le moins du monde des séquelles psychologiques. « Vous n’avez pas besoin de terminer ça aujourd’hui. Sortez, rentrez chez vous, faites shalom bayis, la paix à la maison, et ensuite, si vous le voulez toujours, vous pourrez revenir ». J’ai été stupéfaite, étant donné qu’en Israël, il est pratiquement impossible pour deux personnes d’aller demander le divorce sur un coup de tête. Nous avions suivi une médiation et payé pour un accord juridique écrit ; nous étions allés au tribunal des affaires familiales et nous nous étions assis devant un juge qui avait lu l’accord de dix pages avec nous. Pourtant, on nous demandait maintenant de ne pas agir de manière irréfléchie.

 

En fait, après 20 ans de mariage, il nous avait fallu beaucoup de courage pour décider de divorcer, et l’idée que nous n’avions peut-être pas fait assez d’efforts ou que nous ne nous étions pas suffisamment souciés de nos enfants nous insultait tous les deux. Il semblait que nous étions nous-mêmes de mauvais enfants, que nous avions pris une mauvaise décision et que ce rabbin avait le pouvoir de nous permettre ou non de faire la chose gênante que nous voulions faire. J’ai commencé à douter de la possibilité de sortir divorcée.

 

J’ai imaginé que le rabbin se sentait halakhiquement obligé de confirmer que nous étions arrivés au divorce en dernier recours, et je pouvais respecter cela. De la même manière qu’un rabbin peut décourager un converti potentiel d’assumer le fardeau du judaïsme afin de s’assurer de sa certitude, peut-être ce rabbin ressentait-il si profondément la gravité de notre situation qu’il voulait lui aussi s’en assurer. Mais il ne l’a pas dit. Il ne nous a pas regardés dans les yeux et n’a pas dit : « Je suis désolé que vous soyez ici aujourd’hui». Il ne nous a pas demandé avec inquiétude ce qui nous amenait là. Nous étions une nuisance, une parmi tant d’autres qui attendaient dans le hall. Et nous n’étions pas de sa tribu (« Vous n’allez pas à la synagogue », bien que nous y allions tous les deux).

 

Le rabbin était occupé à abuser de son pouvoir, créant un scénario dans lequel, s’il n’aimait pas mes réponses, j’aurais pu facilement devenir une aguna : une femme dont la vie est laissée en suspens jusqu’à ce que son mari décide - s’il le fait un jour - de lui accorder le divorce. Tout ce que je savais de la loi juive m’avait appris que les tribunaux rabbiniques étaient là pour prévenir les cas d’agunot, et non pour les créer. Le rabbin avait cruellement pressé mon mari, lui disant d’attendre une semaine ou deux, avant de lui demander : « Êtes-vous ici de votre plein gré, sans aucune contrainte ? »

 

Même dans l’anxiété du moment, mon esprit s’est immédiatement tourné vers d’autres scénarios : et si j’avais été une femme maltraitée qui avait finalement trouvé le courage de demander à son mari de la libérer ? Et si j’avais eu un mari vengeur ou dominateur, qui cherchait n’importe quelle excuse pour ne pas mener à bien le divorce ? Y avait-il une chance que la décision du rabbin prenne en compte mes propres désirs ou besoins ? Si un homme simple, bien intentionné et peu instruit s’asseyait devant ce rabbin, comme beaucoup l’ont certainement fait, il pourrait être facilement convaincu que la bonne chose à faire, d’un point de vue religieux, est de refuser le guet à sa femme, ou au moins de le retarder.

 

Le rabbin ne m’a posé qu’une seule fois des questions sur ma position. « Pourquoi veux-tu divorcer ? », m’a-t-il dit d’un ton sec. « Je ne comprends pas. Qu’y a-t-il de si grave dans cette situation ? » Étant donné ce que j’avais déjà observé, je ne pensais pas lui devoir une réponse. Je me suis tournée vers le seul moyen dont dispose une femme dans ces conditions : le silence.

 

Lorsqu’il a appelé nos témoins, il leur a demandé de donner nos deuxièmes prénoms en hébreu et les noms hébraïques de nos pères. Eux aussi étaient troublés par la question, par son ton et par le sentiment évident qu’il pouvait nous refuser tout ce qu’il voulait. Finalement, comme ils ne connaissaient pas les noms hébreux de nos pères, nous avons fourni l’attestation nous-mêmes.

 

Mais alors que je commençais à penser que nous étions sauvés, le rabbin s’est tourné vers mon mari et lui a dit, dans une dernière tentative : « Tu sais, tu dois vouloir ce divorce de tout ton cœur. Si ce n’est pas le cas, ce ne sera pas casher. Le veux-tu de tout ton cœur ? »



Des"Servantes écarlates" manifestent devant le tribunal rabbinique de Tel-Aviv, en mai.

 Lorsque deux bonnes personnes divorcent après plus de 20 ans de mariage, qui peut dire qu’elles le veulent de tout leur cœur ? Je savais avec une certitude totale que l’homme avec lequel j’étais assise ne profiterait jamais de l’inégalité du système halakhique et ne capitulerait jamais devant les manipulations de ce rabbin. Mais dans la fraction de seconde de silence qui a suivi sa question impossible, le rabbin est revenu à la charge pour lui dire explicitement qu’il pouvait me refuser le divorce. « Tu n’as pas besoin de donner un guet ».

 

Quelques heures plus tard, je me tenais avec l’homme qui allait devenir mon ancien mari devant trois hommes - des rabbins ? des témoins salariés ? - qui tenaient mon destin entre leurs mains et qui m’ont dit de tendre les mains et de me tenir « comme un arrêt sur image », « aussi passive que possible ». Je savais que c’était aussi l’exigence halakhique, de recevoir plutôt que d’accepter. Pourtant, la halakha, qui aurait pu être expliquée, était secondaire. Pour ces hommes, il était naturel que la femme dans la pièce renonce à toute sa subjectivité.

 

Ils m’ont dit de marcher en cercle avec le guet sous le bras. « Sous l’aisselle », répétait l’un des hommes. Ayant grandi dans un monde halakhique, je savais que les actions qui peuvent sembler étranges et exagérées ont souvent une signification halakhique - dans ce cas, j’étais en train “d’acquérir” le guet, qui devait devenir mien pour compléter la cérémonie. Ce n’était pas le cas du couple qui est sorti immédiatement après nous. La jeune femme portait un jean moulant et l’homme une kippa qui lui tombait directement sur la tête. « Cérémonie ridicule », a-t-il commenté avec dégoût, tandis que la femme essuyait ses larmes et se dirigeait vers le couloir.

 

Je ne savais pas si elle pleurait à cause du divorce ou de la nature dégradante de toute cette expérience. Je ne savais pas si quelqu’un lui avait fait remarquer qu’elle portait des vêtements qui auraient pu lui valoir d’être mise à la porte.

 

Depuis ce jour de mai dernier, Israël m’a semblé différent. « J’avais l’impression d’être en Iran » [sic], ai-je dit à ma meilleure amie, sans aucune exagération. Mon propre destin n’était pas entre mes mains. Au lieu de cela, c’étaient trois hommes tout à fait ordinaires et anonymes qui me donnaient des ordres à leur guise. « Sois aussi passive que possible ». « Arrêt sur image » « Tu n’es pas obligé de lui donner un guet ».  Ces phrases me reviennent à des moments étranges, tourbillonnant dans mon esprit alors que je fais la queue au supermarché, que je renouvelle le passeport de mon fils ou que je prépare le déjeuner.

 

Le terme “cérémonie ridicule” me revient aussi. C’est ce à quoi ressemble la pratique juive lorsque ses autorités ne se donnent pas la peine de l’expliquer, alors même qu’elles obligent les étrangers à la respecter. L’occasion d’expliquer la tradition juive est perdue et dégradée.

 

La terrible ironie est que le rabbinat israélien n’a aucune valeur religieuse, non seulement pour cet autre couple, mais aussi pour moi, une juive pratiquante et engagée qui a fait venir sa famille des USA pour vivre en Israël, notamment pour que mes enfants puissent apprendre et vivre la Torah dans le cadre le plus vivant que je connaisse. Pourtant, le rabbinat israélien profane ma foi. Il utilise son pouvoir pour menacer, contraindre et réduire les femmes au silence.

 

Il faut dire que je ne me laisse pas facilement intimider. J’ai la chance d’avoir reçu une excellente éducation, tant religieuse que laïque. Je suis professeure et je sais parler en mon nom. Je suis en bonne santé et économiquement indépendante. De plus, contrairement à de nombreuses femmes qui demandent le divorce, je n’ai jamais été dans une relation abusive. Mon ancien mari m’a incitée à écrire cet essai et déposera lui-même une plainte contre le tribunal rabbinique. Les femmes qui disposent d’un tel pouvoir sont les moins vulnérables dans de tels cas. Lorsque j’ai raconté mon histoire à une avocate qui travaille sans relâche pour les agunot, elle m’a dit : « Tu t’en es tirée à bon compte ». Je lui ai demandé comment les tribunaux pouvaient continuer ainsi, pourquoi les femmes ne déposaient pas constamment des plaintes. Elle m’a répondu : « Les femmes qui réussissent à divorcer ne veulent pas regarder en arrière. Lorsqu’elles franchissent la porte du rabbinat, elles ne veulent tout simplement pas se souvenir du traumatisme, même si cela signifie qu’il n’y a pas de réparation pour ce qu’elles ont subi et qu’il n’y a pas de changement ».

 

Plus tard, j’ai fait des recherches sur le divorce juif en dehors d’Israël. Le site web du tribunal rabbinique du Conseil rabbinique de Chicago, ma ville natale, indique explicitement que pendant la procédure, aucune question indiscrète ne vous sera posée, que votre vie privée sera respectée, que vous serez traitée avec compassion et respect et que le tribunal comprend que parfois, malheureusement, le divorce est la fin nécessaire d’un mariage juif. Une amie me raconte qu’à New York, le chef du tribunal rabbinique lui a souhaité bonne chance après qu’elle a reçu son guet.

 

Il apparaît que dans une société civile où le divorce religieux est facultatif, les rabbins doivent respecter une norme élémentaire de respect, tant pour les femmes que pour les hommes. Cependant, dans un État qui oblige ses citoyens à divorcer par l’intermédiaire de ses tribunaux religieux, ces derniers n’ont pas besoin d’agir avec respect, car ils ont autre chose : le pouvoir. Et le pouvoir sans entrave est le contraire de la justice, de l’équité et de la démocratie.

08/07/2023

OMER BENJAKOB
Les chasseurs de têtes et l’argent US recrutent à prix d’or des pirates israéliens pour la cyberguerre

Omer Benjakob est journaliste spécialisé dans la désinformation et la cybernétique pour Haaretz. Il a fait partie du consortium de journalisme d'investigation Project Pegasus et s'intéresse à l'intersection entre la technologie et la politique. Il écrit également sur Wikipédia. Benjakob est né à New York et a grandi à Tel Aviv. Il est titulaire d'une licence en sciences politiques et en philosophie, a obtenu une maîtrise en philosophie des sciences et est chargé de recherche au Learning Planet Institute à Paris. @omerbenj

 

Defense Prime, qui a recruté au moins quatre pirates informatiques israéliens, n’est que le dernier exemple en date des entreprises usaméricaines et européennes qui se lancent dans le cyberjeu offensif, alors qu’Israël met au pas le groupe NSO et ses semblables


L’offre d’emploi a été publiée il y a environ deux mois en hébreu sur la page LinkedIn du principal chasseur de têtes de hackers israéliens. Le poste : chercheur senior en vulnérabilités - terme industriel désignant un pirate informatique capable de trouver des failles dans les mécanismes de défense de différents systèmes technologiques. Lieu : Espagne. Employeur : Une nouvelle “startup israélo-américaine” qui opère actuellement “sous les radars”, comme l’indique l’annonce.

Le salaire, Haaretz l’a confirmé, est le double de celui versé par les entreprises israéliennes actives sur le marché déjà lucratif de la cybernétique offensive. Les candidats qui obtiennent le poste bénéficient également d’un déménagement entièrement financé pour eux et leur famille d’Israël à Barcelone.

L’annonce ne mentionne aucun nom, mais Haaretz peut confirmer que l’entreprise qui se cache derrière est Defense Prime, une nouvelle cyber-entreprise fondée par des Israéliens expatriés aux USA. Elle est enregistrée aux USA et ses opérations naissantes sont menées dans le cadre de la législation et de la réglementation usaméricaines - tout en essayant d’inciter les Israéliens à abandonner leur travail dans des entreprises telles que NSO et à choisir de travailler aux USA, ou du moins avec les USA.

Haaretz a appris qu’au cours des derniers mois, au moins quatre pirates informatiques chevronnés ont quitté leur emploi en Israël, dans des entreprises appartenant à des Israéliens ou même dans l’establishment de la défense israélienne pour rejoindre la nouvelle entreprise. Deux de ces chercheurs chevronnés ont en fait quitté deux entreprises locales de cyber-armes, qui ont également perdu un expert en sécurité des opérations qui a récemment rejoint Defense Prime. L’un des autres pirates informatiques chevronnés vient d’une entreprise israélienne de Singapour, et un autre a été recruté au sein d’un organisme de défense israélien. Selon l’une des nombreuses sources qui ont parlé à Haaretz pour cet article, le chercheur était considéré comme un grand talent et son départ vers la nouvelle entreprise est considéré comme un coup dur potentiel pour les capacités cybernétiques de l’État israélien.

Il ne s’agit pas seulement de talents : selon des sources, l’entreprise a également discuté de la possibilité d’acheter des actifs de Quadream, une entreprise israélienne de cyberoffensive qui a récemment fermé ses portes. Il s’agit de la dernière d’une série d’entreprises similaires qui ont cessé leurs activités après la crise dans ce domaine controversé, aujourd’hui au cœur d’une crise entre Israël et les USA, et leurs institutions de défense respectives. Contrairement à l’embauche de pirates informatiques, la vente de toute technologie provenant d’une entreprise comme Qaudream, spécialisée dans le piratage des iPhones, nécessite l’autorisation du ministère israélien de la défense.


L’école militaire de formation à la cyberguerre Ashalim, située au CyberSpark de Beer Sheva (inauguré en 2014), forme de 500 à 600 cyberguerriers par an, destinés à l’exercice de tâches dans tous les secteurs de l’armée israélienne et dans le secteur privé en Israël et dans le monde. Ce cyber-campus a servi de modèle au Cyber Campus de La Défense à Paris, voulu par Emmanuel Macron et inauguré en 2022


Crise des logiciels espions

Il n’est pas le seul : au cours des deux dernières années, depuis que la crise entre Israël et les USA a éclaté à la suite d’une série de révélations concernant l’utilisation abusive du logiciel espion Pegasus de NSO, des dizaines de pirates informatiques israéliens et d’autres personnes employées dans le domaine de la cybernétique offensive ont quitté le pays pour travailler à l’étranger. Certains sont partis travailler pour d’autres Israéliens qui opéraient déjà en dehors du pays et de ses mécanismes de contrôle. D’autres rejoignent des entreprises étrangères basées en Europe ou aux USA - des entreprises qui, selon certaines sources, bénéficient également du soutien de leurs services de renseignement locaux non israéliens. Elles notent l’augmentation du nombre de sociétés italiennes et espagnoles en particulier, mais il s’agit surtout de sociétés soutenues par l’establishment de la défense et la communauté du renseignement usaméricains.

Defense Prime n’est que la plus récente et la plus bruyante de ce que les sources disent être une nouvelle génération de cyber-entreprises non-israéliennes actuellement en pleine ascension et prenant une part du talent et de la part de marché de leurs concurrents israéliens. Selon des sources et une enquête menée par Haaretz, l’entreprise rejoint une liste croissante d’entreprises nouvelles ou existantes qui ont considérablement développé leurs activités au cours des deux dernières années, parallèlement aux tentatives visant à contrôler l’industrie cybernétique israélienne et à mettre un terme à la prolifération des logiciels d’espionnage commerciaux.

En Europe, des sources indiquent que des entreprises existantes comme Memento Labs ou Data Flow en Italie, Interrupt Labs au Royaume-Uni et Varistone en Espagne se sont développées au cours des 18 derniers mois, également avec l’aide de talents israéliens. Il existe également de nouvelles entreprises, en particulier aux USA, qui sont apparues parallèlement à la pression exercée par les USA sur Israël dans le sillage de l’affaire du NSO.

Eqlipse, très présent sur les médias sociaux, ne rate pas une occasion de faire sa pub : concerts, marathons, célébrations patriotiques en tous genres


Eqlipse Technologies, par exemple, a été créée l’année dernière pour offrir ce qu’elle appelle des capacités de cyberveille et de renseignement d’origine électromagnétique (“SIGINT”) à spectre complet pour des “clients clés en matière de sécurité nationale au sein du ministère de la défense et de la communauté du renseignement”, selon un communiqué de presse d’Arlington Capital, qui soutient l’entreprise. L’expression “spectre cybernétique complet” est un euphémisme utilisé dans l’industrie pour désigner les capacités défensives et offensives. Malgré son jeune âge, Eqlipse emploie déjà plus de 600 personnes et réalise un chiffre d’affaires annuel de 200 millions de dollars.

Une autre entreprise, Siege Technologies, également usaméricaine, a été créée en 2019 mais a intensifié ses activités au cours des deux dernières années. Elle se concentre exclusivement sur « la fourniture de capacités cybernétiques offensives et défensives essentielles au gouvernement américain », selon son site web.

Selon certaines sources, ces entreprises et leurs annonces publiques - rares dans le monde secret du renseignement cybernétique - s’inscrivent dans une tendance plus large : Les entreprises et les invesisseurs usaméricains pensent que, parallèlement à la critique publique de la cyber-offensive, l’establishment de la défense usaméricaine et la Maison Blanche sont intéressés par le développement de leur propre industrie - et sont prêts à payer pour cela.

Le chouchou de Netanyahou

Le marché cybernétique offensif d’Israël, qui était autrefois la coqueluche du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de l’establishment de la défense israélienne, traverse la pire crise qu’il ait connue depuis sa création, d’après certaines sources.

Après des années de “cyber-diplomatie” - une politique menée par Netanyahou dans le cadre de laquelle Israël utilise la vente de cyber-armes pour réchauffer les relations diplomatiques avec des pays qui lui sont historiquement hostiles - Israël a fait volte-face. Selon certaines sources, il est loin le temps où le ministère de la Défense autorisait la vente de logiciels espions de qualité militaire à des pays comme le Rwanda ou l’Arabie saoudite.

La raison : l’enquête Projet Pegasus, à laquelle Haaretz a également participé, a révélé l’utilisation abusive du logiciel espion par les États clients de NSO dans le monde entier, ainsi que la révélation que l’Ouganda a utilisé le logiciel espion pour pirater les téléphones des fonctionnaires du département d’État usaméricain en Afrique. Cette dernière affaire a provoqué une crise diplomatique entre Washington et Jérusalem, la Maison Blanche exhortant Israël à restreindre ses cyber-entreprises. La décision d’ajouter NSO et Candiru, une autre cyber-entreprise israélienne, à une liste noire du ministère usaméricain du commerce a indiqué à Israël que les USAméricains étaient sérieux.

Israël a réagi en inversant sa politique. Il a communiqué aux médias une liste tronquée des pays auxquels les entreprises de cybernétique peuvent désormais vendre leurs produits, liste qui ne comprend pratiquement plus que des États occidentaux.

Selon certaines sources, toutes les petites entreprises qui se sont développées dans l’ombre de NSO et qui vendaient des logiciels espions à des pays non occidentaux ont perdu leur capacité à faire des affaires presque du jour au lendemain. Au cours des 18 derniers mois, la plupart des entreprises n’ont pas pu obtenir de licence pour conclure ne serait-ce qu’un seul nouveau contrat ; dans certains cas, les contrats existants ont également été annulés.

En réaction, de plus en plus d’entreprises ont commencé à fermer leurs portes ou à se retirer du marché offensif, se concentrant plutôt sur des formes moins intrusives de surveillance “passive”, qui ne sont pas réglementées de manière aussi stricte. Cognyte a par exemple fermé Ace Labs, sa filiale spécialisée dans le piratage téléphonique. Bien que les leaders du marché, NSO et Paragon - qui se concentre presque exclusivement sur les marchés occidentaux et a réussi à garder sa réputation intacte - poursuivent leurs activités, ils sont également en difficulté. D’autres, comme Nemesis, Wintego, Kela, Magen et Quadream, ont complètement cessé leurs activités, selon certaines sources, ou ont au moins déclaré qu’elles les avaient arrêtées et transférées à l’étranger ou qu’elles les avaient rebaptisées.

Des sources industrielles de haut niveau ont passé l’année dernière à avertir que la nouvelle politique israélienne d’apaisement avec les USAméricains se retournerait contre eux. Elles affirment que la perte de talents et les dommages causés à l’industrie nuiront également à l’establishment de la défense israélienne et pourraient même faire perdre à Israël son avantage dans le cyberespace militaire. Sans la capacité de retenir les meilleurs talents en Israël, ces pirates ne seront plus disponibles pour servir dans des unités comme la 8200 - où ceux qui travaillent à l’étranger ne peuvent pas toujours revenir pour le service de réserve en raison de préoccupations liées au secret.

« Lorsque ces personnes travaillent à l’étranger, elles ne sont pas seulement en dehors de l’écosystème israélien, mais aussi dans un nouvel écosystème, et ces pays en profitent », explique une source industrielle. « Cela ne fait pas qu’affaiblir Israël, cela rend aussi les Européens et les Américains - et qui sait d’autres - plus forts ».

Selon des sources industrielles, la pression usaméricaine sur Israël n’est pas seulement le résultat de préoccupations en matière de droits humains, mais fait également partie de ce qu’elles considèrent comme une politique plus large visant à affaiblir l’industrie cybernétique d’Israël et à renforcer celle des USA à ses dépens. À titre d’exemple, ils citent la tentative de L3Harris, un géant usaméricain de la défense technologique, d’acheter NSO après qu’il a été placé sur la liste noire. L’opération n’a pas abouti en raison des objections des responsables israéliens, mais elle a bénéficié du soutien de l’establishment usaméricain de la défense et devait permettre à NSO d’être retiré de la liste noire, a-t-on laissé entendre à l’époque.

Des rapports ont également révélé que les organismes de défense usaméricains avaient eux-mêmes acheté une version de Pegasus, allant jusqu’à l’offrir à Djibouti dans le cadre du soutien US à ce pays. Le décret de la Maison Blanche interdisant aux organismes usaméricains d’utiliser des logiciels espions tels que Pegasus, ont noté les experts à l’époque, était formulé de manière à permettre aux USA de continuer à produire, à vendre et même à utiliser ces technologies eux-mêmes.

Complexe militaro-industriel cybernétique

En fait, L3Harris fait partie d’une poignée d’entreprises de défense usaméricaines qui disposent de leurs propres unités cybernétiques offensives, et des sources affirment qu’il s’agit là de la véritable toile de fond de la montée en puissance d’entreprises telles que Defense Prime.

Les origines de Defense Prime remontent à un fonds de capital-risque usaméricain et aux deux entrepreneurs israéliens - dont l’un est un ancien de l’appareil de défense israélien. Le fonds lui-même n’est pas lié à la nouvelle entreprise, mais cette dernière est née d’une tentative antérieure du fonds d’entrer sur le marché de la cybernétique, avec le soutien d’une liste de hauts responsables des services de renseignement et de la défense. Ces derniers allaient de l’ancien chef de la National Security Agency, Keith Alexander, un général quatre étoiles à la retraite, à des responsables de l’unité de renseignement militaire israélienne 8200 et du Mossad, ainsi que des services de renseignement allemands. Comme indiqué, le fonds n’est pas impliqué dans la nouvelle entreprise, et on ne sait pas combien de ces fonctionnaires, s’il y en a, ont quitté la société de capital-risque et se sont impliqués dans le projet.

Dans le même temps, des entreprises telles que L3Harris et Raytheon, comme l’a constaté Haaretz, recrutent activement pour des postes aux capacités clairement offensives. Qu’il s’agisse de “chercheurs en exploitation de failles” ou d’experts en recherche ou en criminalistique sur iOs ou Android, les travailleurs sont recherchés par les entreprises de défense usaméricaines, qui ont toutes deux conclu des contrats avec des organismes officiels US pour différentes formes de cybercriminalité. Il en va de même pour General Dynamics, l’une des cinq plus grandes entreprises de défense usaméricaines.

CACI, une autre entreprise usaméricaine spécialisée dans la sécurité intérieure et les drones, se targue également de “capacités cybernétiques offensives contre les plateformes adverses”. L’entreprise est actuellement à la recherche d’une personne ayant des compétences en « criminalistique informatique / criminalistique d’appareils mobiles... analyse et méthodologies d’intrusion par rétro-ingénierie, analyse des renseignements et évaluation des vulnérabilités ». Leidos et une autre société appelée ManTech sont également de plus en plus actives dans ce domaine, selon des sources et des offres d’emploi. Ensemble, ces entreprises permettent à l’USAmérique de bénéficier d’une cyberindustrie militaire en plein essor.

L’entreprise italienne Data Flow est un bon exemple de cette tendance. Elle s’occupe directement des exploitations de failles (et non des logiciels espions) et a récemment décidé d’ouvrir une boutique aux USA, signe de la nouvelle centralité du marché usaméricain. L’entreprise, qui, selon son site ouèbe, recrute actuellement un chercheur en exploitation de failles pour iPhone et Android, compte également un Israélien senior qui a quitté un poste similaire dans une entreprise israélienne l’année dernière.

Ce n’est pas la première fois que de grosses sommes d’argent tentent d’attirer les talents israéliens. Toutefois, selon certaines sources, lorsque la société Dark Matter, soutenue par les Émirats arabes unis, a tenté d’attirer des pirates informatiques israéliens et usaméricains en leur offrant des salaires mirobolants (jusqu’à 1 million de dollars par an, selon les rumeurs), les établissements de défense usaméricains et israéliens ont pu tirer la sonnette d’alarme. Lorsque des entreprises usaméricaines et européennes font de même, Israël est impuissant. En effet, pendant des années, Israël a évité d’appliquer ses lois sur les exportations de défense aux personnes et aux capacités techniques, se contentant de réglementer la vente de technologies défensives ou militaires.

« Nous ne sommes pas en Corée du Nord, vous ne pouvez pas dire aux gens où ils doivent vivre et avec qui ils doivent travailler », déclare un haut fonctionnaire du secteur qui a perdu du personnel au cours des derniers mois. « Si quelqu’un préfère vivre et travailler à Washington ou en Espagne, c’est son droit ».

Les sources des différentes entreprises indiquent qu’avec la crise - et le climat politique en Israël qui pousse de nombreux Israéliens à envisager de quitter le pays - elles ont du mal à retenir les talents. Outre la menace usaméricaine, elles notent également que les entreprises israéliennes qui opèrent depuis longtemps en dehors d’Israël en récoltent également les fruits, et pas seulement en termes de talents.

À titre d’exemple, ils citent la société Intellexa, détenue et dirigée par deux anciens hauts responsables des services de renseignement israéliens, qui a été impliquée dans une série de controverses au cours de l’année écoulée. Elle a remporté un certain nombre de contrats lucratifs que des entreprises israéliennes ont été contraintes de refuser pour des raisons de réglementation et de respect des droits humains. Ils notent également l’existence de deux nouvelles cyber-entreprises à Singapour, liées à Rami Ben Efraim, ancien haut commandant de l’armée de l’air israélienne, qui a été attaché militaire dans ce pays d’Asie du Sud-Est et qui travaille désormais dans le secteur privé.

« Israël et les entreprises israéliennes ont toujours pu concurrencer celles qui essayaient d’opérer dans le dos du ministère israélien de la Défense et en dehors de son champ de compétence réglementaire », a déclaré une source. « Mais c’était à l’époque où l’industrie locale était vivante et dynamique, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ».

Defense Prime et le ministère de la Défense israélien, sollicités, n’ont pas répondu à cet article.


Seth - Hacker Rat, par TheLivingShadow